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De Victor Hugo à Robert Badinter.( complément de cours)

Publié le par annepaingault

 Victor Hugo a 27 ans quand il écrit un témoignage à la première personne : « Le Dernier Jour d’un condamné », écrit en 1829 et "Claude Gueux", écrit en 1834 sont les deux nouvelles qu'Hugo publia contre l'homicide légal. La forme narrative du monologue intérieur, forçant le lecteur à s’identifier avec le personnage principal, inspirera Dostoïevski «Crime et châtiment» et Camus « l'Etranger». Tout au long de sa vie Victor Hugo mettra son art de polémiste et de graphiste au service du combat contre la peine de mort.
Outre les œuvres romanesques, il use de son talent rhétorique dans son discours contre la peine de mort prononcé à l’Assemblée constituante le 15 septembre 1848 : un discours fondateur.

                 Discours de Victor Hugo devant l’Assemblée Constituante

 

15 septembre 1848.

Je regrette que cette question, la première de toutes peut-être, arrive au milieu de vos délibérations presque à l’improviste, et surprenne les orateurs non préparés.

Quant à moi, je dirai peu de mots, mais ils partiront du sentiment d’une conviction profonde et ancienne.

Vous venez de consacrer l’inviolabilité du domicile, nous vous demandons de consacrer une inviolabilité plus haute et plus sainte encore, l’inviolabilité de la vie humaine.

Messieurs, une constitution, et surtout une constitution faite par la France et pour la France, est nécessairement un pas dans la civilisation. Si elle n’est point un pas dans la civilisation, elle n’est rien. (Très bien ! très bien !)

Eh bien, songez-y, qu’est-ce que la peine de mort ? La peine de mort est le signe spécial et éternel de la barbarie. (Mouvement.) Partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie domine ; partout où la peine de mort est rare, la civilisation règne. (Sensation.)

Messieurs, ce sont là des faits incontestables. L’adoucissement de la pénalité est un grand et sérieux progrès. Le dix-huitième siècle, c’est là une partie de sa gloire, a aboli la torture ; le dix-neuvième siècle abolira la peine de mort. (Vive adhésion. Oui ! oui !)

Vous ne l’abolirez pas peut-être aujourd’hui ; mais, n’en doutez pas, demain vous l’abolirez, ou vos successeurs l’aboliront. (Nous l’abolirons ! Agitation.)

 

Vous écrivez en tête du préambule de votre constitution "En présence de Dieu", et vous commenceriez par lui dérober, à ce Dieu, ce droit qui n’appartient qu’à lui, le droit de vie et de mort. (Très bien ! très bien !)

Messieurs, il y a trois choses qui sont à Dieu et qui n’appartiennent pas à l’homme l’irrévocable, l’irréparable, l’indissoluble. Malheur à l’homme s’il les introduit dans ses lois ! (Mouvement.) Tôt ou tard elles font plier la société sous leur poids, elles dérangent l’équilibre nécessaire des lois et des mœurs, elles ôtent à la justice humaine ses proportions ; et alors il arrive ceci, réfléchissez-y, messieurs, que la loi épouvante la conscience. (Sensation.)

Je suis monté à cette tribune pour vous dire un seul mot, un mot décisif, selon moi ; ce mot, le voici. (Ecoutez ! écoutez !)

Après février, le peuple eut une grande pensée, le lendemain du jour où il avait brûlé le trône, il voulut brûler l’échafaud. (Très bien !D’autres voix : Très mal !)

Ceux qui agissaient sur son esprit alors ne furent pas, je le regrette profondément, à la hauteur de son grand cœur. (À gauche : Très bien !) On l’empêcha d’exécuter cette idée sublime.

Eh bien, dans le premier article de la constitution que vous votez, vous venez de consacrer la première pensée du peuple, vous avez renversé le trône. Maintenant consacrez l’autre, renversez l’échafaud. (Applaudissements à gauche. Protestations à droite.)

 Je vote l’abolition pure, simple et définitive de la peine de mort.

Ce discours fut prononcé dans la discussion de l’article 5 du projet de Constitution. Cet article était conçu ainsi : la peine de mort est abolie en matière politique. Certains représentants proposaient par amendement de rédiger ainsi cet article : la peine de mort est abolie.

Dans la séance du 18 septembre cet amendement fut repoussé par 498 voix contre 216.

 

                                  Le XXème siècle a aboli la peine de mort -
Robert Badinter

 

Extrait du Journal Officiel

Débats à l'Assemblée nationale sur l'abolition de la peine de mort en France

        M. Badinter, garde des sceaux, ministre de la justice

Assemblée nationale - 1ère séance du 17 septembre 1981 (Extraits).

 

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, j'ai l'honneur au nom du Gouvernement de la République, de demander à l'Assemblée nationale l'abolition de la peine de mort en France.

 

En cet instant, dont chacun d'entre vous mesure la portée qu'il revêt pour notre justice et pour nous, je veux d'abord remercier (…)  tous ceux, quelle que soit leur appartenance politique qui, au cours des années passées, notamment au sein des commissions des lois précédentes, ont également œuvré pour que l'abolition soit décidée, avant même que n'intervienne le changement politique majeur que nous connaissons.

 

Cette communion d'esprit, cette communauté de pensée à travers les clivages politiques montrent bien que le débat qui est ouvert aujourd'hui devant vous est d'abord un débat de conscience et le choix auquel chacun d'entre vous procédera l'engagera personnellement.

 

Raymond Forni a eu raison de souligner qu'une longue marche s'achève aujourd'hui. Près de deux siècles se sont écoulés depuis que dans la première assemblée parlementaire qu'ait connue la France, Le Pelletier de Saint-Fargeau demandait l'abolition de la peine capitale. C'était en 1791.

 

Je regarde la marche de la France.

 

La France est grande, non seulement par sa puissance, mais au-delà de sa puissance, par l'éclat des idées, des causes, de la générosité qui l'ont emporté aux moments privilégiés de son histoire.

 

La France est grande parce qu'elle a été la première en Europe à abolir la torture malgré les esprits précautionneux qui, dans le pays, s'exclamaient à l'époque que, sans la torture, la justice française serait désarmée, que, sans la torture, les bons sujets seraient livrés aux scélérats.

 

La France a été parmi les premiers pays du monde à abolir l'esclavage, ce crime qui déshonore encore l'humanité.

 

Il se trouve que la France aura été, en dépit de tant d'efforts courageux l'un des derniers pays, presque le dernier - et je baisse la voix pour le dire - en Europe occidentale, dont elle a été si souvent le foyer et le pôle, à abolir la peine de mort.

 

Pourquoi ce retard ? Voilà la première question qui se pose à nous.

Ce n'est pas la faute du génie national. C'est de France, c'est de cette enceinte souvent, que se sont levées les plus grandes voix, celles qui ont résonné le plus haut et le plus loin dans la conscience humaine, celles qui ont soutenu, avec le plus d'éloquence la cause de l'abolition. Vous avez, fort justement, monsieur Forni, rappelé Hugo, j'y ajouterai, parmi les écrivains, Camus. Comment, dans cette enceinte, ne pas penser aussi à Gambetta, à Clemenceau et surtout au grand Jaurès ? Tous se sont levés. Tous ont soutenu la cause de l'abolition. Alors pourquoi le silence a-t-il persisté et pourquoi n'avons-nous pas aboli ?

Je ne pense pas non plus que ce soit à cause du tempérament national. Les Français ne sont certes pas plus répressifs, moins humains que les autres peuples. Je le sais par expérience. Juges et jurés français savent être aussi généreux que les autres. La réponse n'est donc pas là. Il faut la chercher ailleurs.

 

Pour ma part, j'y vois une explication qui est d'ordre politique. Pourquoi ?

L'abolition, je l'ai dit, regroupe, depuis deux siècles, des femmes et des hommes de toutes les classes politiques et, bien au delà, de toutes les couches de la nation


Pour ma part, j'y vois une explication qui est d'ordre politique. Pourquoi ?

L'abolition, je l'ai dit, regroupe, depuis deux siècles, des femmes et des hommes de toutes les classes politiques et, bien au delà, de toutes les couches de la nation

Mais si l'on considère l'histoire de notre pays, on remarquera que l'abolition, en tant que telle, a toujours été une des grandes causes de la gauche française. Quand je dis gauche, comprenez moi, j'entends forces de changement, forces de progrès, parfois forces de révolution, celles qui, en tout cas, font avancer l'histoire. (Applaudissements sur les bancs des socialistes, sur de nombreux bancs des communistes et sur quelques bancs de l'union pour la démocratie française)  […]

 

Demain, grâce à vous la justice française ne sera plus une justice qui tue. Demain, grâce à vous, il n'y aura plus, pour notre honte commune, d'exécutions furtives, à l'aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises. Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées.

 

A cet instant plus qu'à aucun autre, j'ai le sentiment d'assumer mon ministère, au sens ancien, au sens noble, le plus noble qui soit, c'est-à-dire au sens de "service". Demain, vous voterez l'abolition de la peine de mort. Législateur français, de tout mon cœur, je vous en remercie.

 

Le vote a eu lieu le 18 septembre, il est sans ambiguïté. La seule inconnue résidait dans le nombre de voix. L’article 1 abolissant la peine de mort est adopté par 369 voix contre 113.

Le projet est adopté par 363 voix contre 117.

Quelques inquiétudes subsistent quant au vote du Sénat. Après discussion, le 30 septembre 1981, le Sénat adopte définitivement le projet de loi abolissant la peine de mort par 160 voix contre 126.

 

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